La non réciprocité de l’intuitu personae dans les contrats de franchise

29 février 2024


La non réciprocité de l’intuitu personae dans les contrats de franchise
ne crée pas un déséquilibre significatif !
La Cour de cassation redonne de l’oxygène aux réseaux

Cass.com, 28 février 2024, pourvoi n° 22-10.314 (publié au Bulletin)

Le franchiseur peut résilier un contrat dont le titulaire change d’actionnariat. Le franchisé ne peut pas s’exonérer d’un contrat le liant à une enseigne qui change d’actionnaire ! Droit naturel d’une tête de réseau qui contrôle son périmètre, ou déséquilibre significatif entre deux partenaires liées pour le meilleur ou pour le pire ? Dans un arrêt rendu hier, la Cour de cassation répond à la faveur de la querelle en forme de serpent de mer Dominos Pizza – Pizza Sprint. Elle rend légitime cette asymétrie : un détaillant signe avec un concept : pas avec le patron de celui-ci.

Par Me Rémi de Balmann, Dmd Avocats

Il s’agit d’un arrêt de rejet et pourtant la décision que la chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre ce mercredi 28 février dans le fameux dossier Pizza Sprint fera date. Il s’agit tout spécialement de la question – brûlante – de l’intuitu personae dans les contrats de franchise.

Dans l’arrêt attaqué du 5 janvier 2022, la 4e chambre du pôle 5 de la cour d’appel de Paris avait jugé que «la clause intuitu personae figurant au contrat de franchise Pizza Sprint, en ce qu’elle permet au franchiseur de décider de la fin anticipée du contrat de franchise sans frais pour tout projet ayant une «incidence» sur la répartition actuelle du capital ou de celui du principal actionnaire, ou dans l’identité des dirigeants du franchisé, et en ce qu’elle ne prévoit pas de réciprocité pour le franchisé, crée un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé».

Certains commentateurs s’étaient émus de cette motivation : elle semblait condamner par principe et ne varietur les clauses instituant une non-réciprocité de l’intuitu personae dans les contrats de franchise.

Commentant cet arrêt du 5 janvier 2022, le Pr Nicolas Mathey avait souligné que «reconnaître que le contrat de franchise est caractérisé par un intuitu personae bilatéral est juste : prétendre qu’il doit être symétrique est contestable. Une rédaction différenciée n’est pas illégitime a priori car les intérêts du franchisé et du franchiseur ne sont pas les mêmes. (…)»(1).

Or et pour écarter le moyen dirigé sur ce point contre l’arrêt d’appel du 5 janvier 2022, la Cour de cassation – après avoir rappelé les stipulations de la clause d’intuitu personae incriminée – juge que : «En l’état de ces seules constatations et appréciations, exclusives de dénaturation, la cour d’appel, qui ne s’est pas bornée à déduire l’existence d’un déséquilibre significatif du seul fait que la clause litigieuse ne prévoyait pas de réciprocité, a pu retenir que cette dernière caractérisait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties».

Tout est dit ! Le membre de phrase de l’arrêt d’appel : «et en ce qu’elle ne prévoit pas de réciprocité pour le franchisé» ne suffisait pas en lui-même à caractériser l’illicéité de la clause et l’affaire n’était qu’un cas d’espèce et non pas un arrêt destiné à faire jurisprudence.

Lors du colloque qui s’est tenu le 12 janvier 2023 dans la Grand’chambre de la Cour de cassation, j’avais osé dire que : «(…) Si la Cour estimait ne pas devoir accueillir sur ce point le pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt, compte tenu des circonstances de l’espèce, elle pourrait à tout le moins prendre soin de préciser que ce motif était erroné en droit et surabondant, évitant ainsi d’en faire un principe jurisprudentiel. Selon la terminologie usuelle, la Cour de cassation «sauverait» ainsi l’arrêt d’appel. Mais elle «sauverait» aussi la franchise en soulignant que la cour a statué «abstraction faite du motif erroné mais surabondant» selon lequel la clause incriminée entraînerait en soi et par principe un déséquilibre significatif».

La voix des franchiseurs et la voix de la raison (juridique et économique) ont été entendues.

Plus que jamais : «Choisir un franchisé, c’est choisir un homme ou une femme ; choisir un franchiseur, c’est choisir un concept» (2).

1 N. Mathey : Contrats, conc., consom. 2022, comm. 45.

2 R. de Balmann, «En franchise, l’intuitu personae n’est pas réciproque» : «L’Officiel de la Franchise», oct. 2013.

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