A QUOI BON NIER LE DROIT ? Par Me Dominique Cohen-Trumer, Cabinet Cohen-Trumer

5 juillet 2022


Loyers Covid en Cassation : à quoi bon ? Certes, mais…

A QUOI BON NIER LE DROIT ?

Le 30 juin dernier, la Cour de cassation rendait 3 arrêts de rejet. Toutes les interrogations juridiques qui se posaient au regard des loyers échus pendant les périodes d’interdiction d’exploitation y sont traitées. Ces décisions étaient attendues par tous les acteurs de l’immobilier commercial. Elles ont le mérite de la clarté.

Par Me Dominique Cohen-Trumer, Cabinet Cohen-Trumer

«J’ai demandé ma route au mur, il m’a dit d’aller tout droit». Cette belle phrase de Booba en appelle une autre pour tout avocat : Ignorer le droit, c’est se prendre le mur. Notamment en démocratie. Raison pour laquelle on ne peut que se réjouir des trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 30 juin dernier à propos des «loyers Covid».

L’avis rendu par l’avocat général Bruno Sturlèse dans le dossier faisant l’objet du pourvoi n° 21-20.190 (Action France c/ Foncière Saint-Louis) est très documenté. Il commence par un rappel évident : l’épidémie de Covid et les mesures de santé publique qui s’en sont suivi ont frappé durement les commerçants, ceux contraints à cesser leur exploitation. Puis souligne les aides massives accordées par l’Etat pour permettre à ces mêmes commerçants de faire face à leurs charges, notamment de loyer. Si les loyers et charges n’étaient pas dus en droit, il y aurait eu enrichissement sans cause pour tous ceux qui avaient perçu ces aides.

Mais la question de savoir si les loyers étaient dus pendant les périodes d’interdiction d’exploitation devait être tranchée en droit pur, en dehors même de la question des aides. C’est le cas et l’on ne peut que s’en réjouir. C’est la même espèce (Action France c/ Foncière Saint-Louis) qui a fait l’objet de la décision la plus complète, puisque abordant tous les arguments des preneurs. Revenons-y.

Fermer temporairement n’est pas détruire définitivement

L’article 1722 du Code civil précise : «Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.» 

Des décisions, parfois anciennes, avaient appliqué cet article dans des cas de fermetures administratives. Il s’agissait cependant toujours de cas où le local lui-même ou son accès étaient en cause matériellement : un immeuble nécessitant des travaux lourds excédant sa valeur, un  arrêté municipal ayant interdit l’exploitation de locaux en raison de la non-réalisation de gros travaux et d’aménagements de sécurité incombant au bailleur, un terrain sinistré (zone inondable) sur lequel aucune construction ne pouvait être érigée, une voie d’accès à des locaux à usage de bureaux et d’entrepôts interdite aux véhicules de plus de 19 t sur arrêté municipal rendant définitivement lesdits locaux impropres à leur destination.

Avec le Covid, rien de tel. Les locaux n’étaient pas concernés. L’accès du public aux locaux était interdit. Ce qui est bien différent, comme le souligne la Cour de cassation. Ce d’autant que l’interdiction était temporaire. Or par mesure d’équité, certains voulaient ajouter à la loi. Car 1722 ne s’applique pas aux situations temporaires. Ne les évoque même pas. Il s’agit de destruction définitive totale ou partielle.

L’article ne trouvait tout simplement pas à s’appliquer. Ajouter à la loi n’était pas possible.

Pour qu’il y ait manquement, il faut qu’il y ait manquement

Autre argument soulevé, celui du défaut de délivrance d’un local conforme par le bailleur sur le fondement de l’article 1719 du Code civil. Ce point ne faisait plus guère de doute et la réponse de la Cour est assez sèche et frappée au coin du bon sens : les bailleurs n’ont jamais manqué à leur obligation de délivrance. De nombreuses décisions avaient tranché en ce sens, les locataires ayant toujours eu accès à leur local, parfaitement conforme, ajoutant pour certaines que le bailleur n’était pas tenu de fournir une clientèle ou un chiffre d’affaires au locataire.

La force majeure et la réciprocité

C’est l’article 1218 du Code civil qui était évoqué. La Cour de cassation rappelle que le bailleur ne pourrait pas demander la résolution du contrat ou la suspension de son obligation si pour lui la force majeure était retenue. Elle en déduit que par réciprocité, la force majeure ne peut pas trouver à s’appliquer aux locataires. Mais déjà plus aucun auteur n’y croyait vraiment : De longue date la Cour avait jugé que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. 

Bonne foi et réciprocité

Restait la bonne foi du bailleur, souvent évoquée pour affirmer que les bailleurs devaient prendre en compte la situation de leur locataire. Ce qu’ils ont fait pour l’essentiel. En l’espèce, la Cour suprême relève que la cour d’appel avait à juste titre retenu que le bailleur avait en vain proposé de différer le règlement du loyer, manifestant ainsi sa bonne foi. Insuffisant ? Mais le locataire avait cessé tout règlement (ce qui avait entraîné une saisie, validée par la cour d’appel), nonobstant le contrat. Ce qui faisait peu montre de bonne foi.

Que les affaires reprennent

L’affaire est close ; que les affaires reprennent, tout comme les discussions entre bailleurs et preneurs. Quant à la Cour de justice européenne, elle ne pourra en aucun cas connaître de ces affaires franco-françaises d’application de la loi nationale. Sauf à renforcer l’Europe – ce qui est à mon sens hautement souhaitable – et parallèlement donc à unifier les lois. Les autres pays européens n’ont pratiquement aucune loi protectrice des commerçants. 

La robe d’avocat est noire et blanche, couleurs que Miss.Tic utilisait si bien, avec une touche de rouge pour les moments où le sang ne fait qu’un tour. Robe chère et précieuse à tout avocat. Pour défendre le contradictoire et le droit.

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