Une bureaucratie omniprésente, une complexité administrative souvent rétive à toute forme de logique et de transparence, l’extension du domaine de la norme est désormais devenue… la norme, analyse Olivier Urrutia, délégué général de la Fédération du Commerce Coopératif et Associé, à la veille de l’examen de la loi Simplification par l’Assemblée. Au point de bâtir un monde kafkaïen qui échappe à toute velléité d’en reprendre le contrôle. Si avec Max Weber, l’on peut voir dans la bureaucratisation une forme de rationalisation de l’exercice du pouvoir politique, poussée à l’extrême celle-ci conduit non seulement au désenchantement du monde mais aussi à un risque réel et important de remise en cause des libertés individuelles et de l’autonomie des organisations.
Frappée d’un mal qui fait tout autant sa renommée dans le monde que ses paysages, sa gastronomie, son architecture ou son art de vivre, la France cherche désespérément le remède à une hyperinflation législative et réglementaire qui l’étouffe. C’est que les chiffres donnent le vertige : notre pays compte 400 000 normes applicables et, depuis le début du siècle, les codes du commerce (365 %), du travail (224 %), de la consommation (333 %) et de l’environnement (689 %) ont crû de manière exponentielle à en rendre carrément jalouse l’entreprise la plus performante. Pour les éventuels sceptiques, ajoutons que chaque année environ 50 nouvelles lois, 1 700 décrets contenant 10 000 articles, et 8 000 arrêtés supplémentaires sont mis en place. Faut-il dès lors s’étonner que pour 90 % de français les normes ne sont pas toujours adaptées quand pour 82 % d’entre eux elles manquent tout simplement – sans mauvais jeu de mots – d’intelligibilité ?
Dès les années 1970, les simplifications ont fait l’objet de programmes d’actions successifs avec des caractéristiques constantes : l’absence de continuité et une rationalité très limitée. Autrement dit, après 50 années de promesses venues ornées les discours de tous les gouvernements, on serait surtout tenté de croire que plus ça change, plus c’est la même chose. Et d’y voir aussi sans doute une limite du discours performatif en politique puisqu’ici dire ce n’est pas faire. Malheureusement. Née dès le XIIIe siècle en France, la fonction administrative devint omnipotente à la Révolution, « dopée » par la politique de centralisation jacobine. A un point tel que Saint-Just, faisant le constat de l’enlisement de la révolution dans la bureaucratie, dénonçait son obésité croissante et le risque inhérent : « Plus les fonctionnaires se mettent à la place du peuple, moins il y a de démocratie ». Bien sûr, toute démocratie a besoin de son administration et de ses règles mais pour ne pas en dévoyer l’esprit encore faut-il que l’ensemble soit soumis à l’impératif de l’intérêt général et ne finisse pas comme Cronos par dévorer ses enfants.
Alors, lorsque subissant les aléas du jeu politique, l’adoption du projet de loi Simplification reste en suspens depuis maintenant un an au moment même où les défaillances d’entreprises se succèdent sur un rythme effréné et que la situation géopolitique se crispe avec ses répercutions naturelles sur l’économie, on attend des pouvoirs publics une ambition et un courage qui ne peuvent faire défaut plus longtemps. Oui mais voilà, les 353 amendements adoptés par la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique, ont largement rebattu les cartes et fini de transformer un projet de loi initialement transpartisan en véritable illustration de cet esprit boutiquier désormais si cruellement commun à l’ensemble des formations politiques. Dans le même temps, les organisations patronales, MEDEF et CPME en tête, ont rivalisé d’imagination avec, respectivement, 83 et 75 propositions de simplification. Mais le plus simple n’eut-il pas été de s’entendre sur un socle commun autour de mesures de bon sens prioritaires au risque sinon de ne pas être audibles ? Dans la recherche d’efficacité, souvent le mieux est l’ennemi du bien.
A titre d’exemple, le retrait du texte de la proposition de test PME, un dispositif permettant de mesurer les effets réels des nouvelles lois et réglementations en préparation sur les entreprises constitue un véritable contresens. De même que l’on aurait pu espérer mieux en matière d’urbanisme commercial, sujet pourtant majeur pour le secteur, que de nouvelles tergiversations sur les seuils qui créent plus de confusion que de facilités. En contrepoint, on se réjouira par exemple de la suppression de l’obligation d’information préalable des salariés en cas de projet de vente la société ou du fonds de commerce qui menaçait d’entraver la politique de transmission/reprise alors même que 700 000 entreprises seront à céder dans les dix prochaines années et que tant de candidats repreneurs manquent à l’appel dans le secteur du commerce.
Pour autant, la multiplication tous azimuts d’amendements parfois forts surprenants souligne chez bon nombre de parlementaires une pusillanimité ou une profonde incompréhension des enjeux qui augurent mal de ce fameux cadre clair, cohérent et stable dont ont tant besoin les entrepreneurs pour développer leur activité et créer de la valeur. Il semble encore bien loin ce changement de paradigme qui nous ferait passer d’un pays qui fait travailler son administration à une administration qui travaille pour son pays.
