Par un simple décret, LE GOUVERNEMENT AUGMENTE LA SURFACE DE VENTE
29 novembre 2023
Alors que la notion de surface de vente avait été petit à petit définie par la jurisprudence administrative de façon plutôt précise, une nouvelle circulaire du 15 novembre 2023, faisant suite à un arrêt du Conseil d’Etat, augmente artificiellement les seuils d’Aec et de Tascom. Elle ébranle aussi la sécurité juridique et soulève plus de questions qu’elle n’en résout.
Par Me Gwenaël Le Fouler, Avocat associé (Létang Avocats)
La notion de surface de vente, essentielle pour déterminer la soumission ou non à autorisation d’exploitation commerciale n’a jamais été définie par le Code de commerce. Cette notion déterminant également le calcul de la Taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), a d’abord été précisée c’est la loi n°96-1181 du 30 décembre 1996 portant loi de finances pour 1997 qui précise que «la surface de vente des magasins de commerce de détail (…) s’entend des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l’exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente».
C’est ensuite essentiellement le juge administratif qui en a défini les contours à l’occasion de décisions qui ont été reprises par plusieurs circulaires. La plus notable est celle du 16 janvier 1997 qui a identifié comme devant être inclus dans la surface de vente, les espaces affectés :
• A la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats ;
• A l’exposition des marchandises proposés à la vente ;
• A la circulation des personnels pour présenter les marchandises à la vente ;
• Au paiement des marchandises.
S’agissant des sas d’entrée dans les magasins, une distinction était faite selon qu’ils accueillent ou non des marchandises, cette exposition déterminant la comptabilisation de ces espaces dans la surface de vente. Les mails de galeries marchandes, desservant plusieurs magasins, restaient exclus de cette notion (toujours sous réserve de n’accueillir l’exposition d’aucune marchandise) ainsi que le Conseil d’Etat l’a, en dernier lieu, confirmé le 03 juillet 2019 (Société Kéréol, n°414009)
En 2018, un arrêt portant sur la surface d’un supermarché exploité seul avait confirmé l’exclusion du hall d’entrée dans le magasin tout en excluant également – ce qui avait surpris – la caisse centrale. En effet, la caisse centrale est par nature accessible au public et directement lié à la vente (Conseil d’Etat, 6 juin 2018, Sci Tilloy Bugnicourt, n°405608). Si elle constitue un point d’accueil et d’orientation du public, elle est systématiquement équipée d’un dispositif d’encaissement et de remboursement des clients.
Un nouvel arrêt du 16 novembre 2022 (Conseil d’Etat, Société Poulbric, n°462720, mentionné aux Tables), portant sur un magasin de bricolage exploité seul, vient prendre le contrepied de l’arrêt de 2018 en considérant que même si aucune marchandise n’était présentée à la vente, un sas d’entrée est intégré à la surface de vente dès lors que, même s’il n’accueille aucune marchandise, il est affecté à la circulation de la clientèle et lui permet de bénéficier des prestations commerciales du magasin.
Indiquant tirer les conséquences de l’arrêt Poulbric, les ministres en charge du Commerce (NDLR : Mme Grégoire et M. Le Maire) ont précisé dans le cadre de la circulaire du 15 novembre 2023 que faisaient notamment partie de la surface de vente «les espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats : sas d’entrée et arrières-caisses d’un seul et unique magasin au sein d’un même bâtiment, allées de circulation entre les rayons, les escalators et ascenseurs reliant directement le parc de stationnement au magasin, etc.».
Il ressort ici un manque de connaissance pratique des espaces commerciaux pour lesquels la compacité est recherchée depuis quelques années, passant notamment la localisation des parcs de stationnement au-dessus ou en dessous de la surface de vente. Il est en outre courant qu’un commerce soumis à autorisation d’exploitation commerciale soit exploité au sein d’un bâtiment accueillant également une activité non soumise à une telle autorisation, le cas le plus fréquent étant celui du restaurant.
Dans ces cas-là, l’escalator menant au palier distribuant à l’étage le commerce comme le restaurant doit-il être comptabilisé dans la surface de vente ? Et ce palier également ? A l’escalator et à l’ascenseur, ne conviendrait-il pas d’ajouter l’escalier dont l’utilisation compense les dysfonctionnements mécaniques des deux premiers équipements ? Les lecteurs les plus attentifs auront également noté la mention fort inopportune du petit mot « etc.» qui laisse bien entendre que la liste n’est pas exhaustive, laissant au juge l’opportunité de l’étendre.
Ce faisant les ministres en charge du Commerce ont discrètement, mais sûrement, abaissé le seuil de soumission des commerces à autorisation d’exploitation commerciale pour les commerces exploités en dehors d’une galerie marchande. La nouvelle circulaire conduit en effet à comptabiliser les équipements menant jusqu’au parc de stationnement lorsque celui-ci est intégré au bâtiment, probablement même si celui-ci est localisé à l’extérieur du magasin considéré.
Enfin, parce que ce n’est pas tout, à la façon d’un texte réglementaire, la circulaire précise que les demandes d’autorisations administratives sollicitées depuis le 16 novembre 2022 devront en tenir compte. C’est oublier que la jurisprudence est par principe rétroactive et qu’une circulaire ne peut être qu’interprétative. La fixation d’une telle date semble totalement contraire à ces principes.
La sécurité juridique se trouve donc une nouvelle fois ébranlée, tant que cette circulaire qui semble aller bien plus loin que la seule interprétation ne sera pas sanctionnée à l’occasion d’un recours dont les gardiens de l’urbanisme commercial ont l’habitude.