Loyers variables
La porte ouverte aux révisions
Il est entendu que, suite à une jurisprudence désormais constante et même de l’avis de l’avocate générale à la Cassation dans l’affaire Cimiez, du nom du Monoprix d’un quartier de Nice, les magistrats ont désormais la main sur le loyer variable. Â tout le moins, si le locataire et le propriétaire ont prévu ce dispositif. Reste la question de savoir si, en l’absence d’accord express sur ce point, le juge peut s’autoriser à fixer un loyer binaire. Dans une précédente tribune, Me André Jacquin ne trouvait pas sérieux qu’il pût en être ainsi. Il concluait : Â l’ouest rien de nouveau ! Ici, Me Jehan-Denis Barbier lui répond : ne perdons pas le nord ! En matière de révision, l’accord des parties non seulement n’est pas nécessaire, mais il est surabondant. Le 24 juillet, le tribunal judiciaire de Paris saisi pour révision par Maisons du Monde, s’est en effet déclaré compétent puisque s’agissant d’une révision, son bras se trouvait ici armé par l’ordre public. La logique des dernières décisions de la Cour de cassation conduit à admettre que les révisions du loyer de base sont désormais toujours possibles.
Par Me Jehan-Denis Barbier, docteur en droit, avocat à la Cour (Barbier-Associés)
Un jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris le 24 juillet dernier a suscité un grand émoi. Saisi d’une demande de révision triennale par un locataire, dont le bail comportait une clause de loyer variable, le juge s’est déclaré compétent et, après avoir rappelé que les dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-39, concernant les révisions du loyer en cours de bail, sont d’ordre public, a jugé la demande recevable et a ordonné une expertise pour estimer le loyer minimum garanti.
Il apparaît effectivement qu’à la suite des dernières évolutions jurisprudentielles, les locataires peuvent former des demandes de révision du loyer de base, en cours de bail, lorsque la commercialité du centre commercial s’est fortement dégradée (sur le fondement de l’article L. 145–38 du Code de commerce) ou lorsque, du fait de la clause d’indexation, le loyer de base a d’ores et déjà augmenté de plus d’un quart depuis le début du bail (sur le fondement de l’article L. 145–39 du Code de commerce).
Dans ces deux cas, le loyer de base doit être ramené, par le juge, à la valeur locative. Cette solution devra être confirmée mais paraît bien s’inscrire dans la droite ligne suggérée par la Cour de cassation.
Par son arrêt du 30 mai 2024, la 3e Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que, ces dernières années, «La jurisprudence a évolué» (Cass. 3e civ. 30 mai 2024, n° 22–16.447, notamment le n° 21 de l’arrêt, Dalloz Actualité 12 juin 2024, note J.-D. Barbier et S. Valade ; Administrer juill. 2024, note J.-D. Barbier).
Trois nouveautés méritent d’être notées.
1°- En premier lieu, il est désormais acquis que depuis les arrêts Marveine et L’Esq (Cass. 3e civ. 3 nov. 2016, n° 15–16.826 et 15–16.827, Gaz. Pal. 14 mars 2017, note J.-D. Barbier, AJDI 2017, p. 36, note F. Planckeel et Cass. 3e civ. 29 nov. 2018, n°17 – 27.798, Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 70, note C.-E. Brault) les clauses de loyer variable ne sont plus ni incompatibles avec le statut des baux commerciaux, ni indivisibles (voir J.-D. Barbier, «Loyers variables : les fissurations de l’édifice», Administrer févr. 2020, p. 14).
Madame Morel-Coujard, avocate générale, dans son avis concernant l’affaire du 30 mai 2024, se demandait pourquoi le loyer minimum garanti échapperait au statut des baux commerciaux et attirait l’attention de la 3e Chambre civile : «On a avancé le caractère indivisible du loyer, mais vous y avez renoncé depuis la jurisprudence Marveine».
Il est certain que, dès lors que la Cour de cassation a admis que le juge puisse fixer le loyer minimum garanti en renouvellement, «lorsque la convention le prévoit», cela signifie bien que le loyer binaire n’est plus incompatible avec les règles statutaires.
2°- En second lieu, par son arrêt du 30 mai 1024, la Cour de cassation décide que les contestations, sur la question de savoir si le loyer minimum garanti doit être fixé à la valeur locative ou non, sont des questions de fond : le juge n’est pas incompétent et les demandes ne sont pas irrecevables.
Les moyens des parties, dit la Cour de cassation, s’analysent «en une défense au fond», le juge des loyers commerciaux étant toujours compétent, même en présence d’une clause de loyer variable. Cela signifie bien que les clauses de loyer variable ont réintégré le statut des baux commerciaux, puisque les règles de compétence et les règles de fond sont nécessairement liées. Si une juridiction spécialisée a été créée par une réglementation spéciale (le juge des loyers commerciaux) c’est pour connaître des questions propres à ce droit spécial.
La Cour de cassation, en décidant, dans son arrêt du 30 mai 2024, que le juge du loyers commerciaux peut toujours être saisi, a donc confirmé que les clauses de loyers variables sont bien dans le statut des baux commerciaux, non en dehors.
3°- Enfin et surtout, la 3e Chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 30 mai 2024, fait purement et simplement disparaître l’ancienne formule selon laquelle les clauses de loyer variable «échappent au statut des baux commerciaux».
La Cour de cassation ne mentionne plus que l’intention des parties.
Ce faisant, la 3e Chambre civile suit l’avis de Madame Morel-Coujard, avocate générale, qui lui demandait de «renoncer à prendre comme base de raisonnement la règle jurisprudentielle selon laquelle les clauses de loyers binaires «échappent» en tout état de cause au statut des baux commerciaux».
L’évolution est donc achevée. Seule compte l’intention des parties, pour les matières qui dépendent de leur volonté, c’est-à-dire qui ne sont pas régies par l’ordre public.
En renouvellement, le problème ne se pose plus : on applique les clauses des baux-types qui, dans les centres commerciaux, prévoient la fixation par le juge du loyer minimum garanti. Mais en révision, les textes légaux étant d’ordre public, aucune clause ne peut interdire une fixation judiciaire, lorsque les conditions légales sont remplies.
Dans son jugement du 24 juillet 2024, le juge des loyers commerciaux parisien avait relevé que la clause d’indexation du bail réservait la possibilité pour les parties de demander la révision du loyer en application des articles L. 145-37 et L. 145-38 du Code de commerce. Il avait considéré que la révision était possible non seulement en raison de l’ordre public, mais en outre parce que les parties l’avaient expressément prévue.
Mais cette seconde motivation était surabondante. Point n’est besoin d’une clause contractuelle pour autoriser ce qui est déjà prescrit par une disposition d’ordre public. Cette dernière s’applique sans qu’il soit besoin de le rappeler par une stipulation particulière. Aucune clause contractuelle ne pourrait d’ailleurs dire le contraire.
Si l’on reprend l’attendu de principe de la Cour de cassation dans son arrêt du 30 mai 2024, il paraît clair que la porte est ouverte aux révisions légales. La Cour de cassation a indiqué : «Les parties qui stipulent une clause de loyer variable manifestent ainsi, en principe, une volonté d’exclure une fixation judiciaire du prix du bail renouvelé à la valeur locative».
Il est impossible de transposer cette formule à une révision légale car cela donnerait : «Les parties qui stipulent une clause de loyer variable manifestent ainsi, en principe, une volonté d’exclure une révision d’ordre public à la valeur locative». Or une volonté contraire à l’ordre public ne peut produire aucun effet. Serait-elle exprimée par écrit, la clause serait réputée non écrite.
Ainsi, les dernières évolutions jurisprudentielles consacrent le retour des clauses de loyer binaire dans le statut, notamment au regard des règles de la révision triennale ou de la révision des loyers indexés. Plus rien ne s’oppose à la révision des loyers minimum garanti.