Si l’avenir est écrit sur les murs, alors il faut s’arrêter quelques minutes pour le lire. En donnant la parole aux grandes voix du commerce, c’est ce que proposera désormais, grâce à son application toute neuve, La Correspondance de l’Enseigne dans cette rubrique Opinions.
Par Alain Boutigny, président-fondateur des Editions de l’Enseigne
Gouverner c’est prévoir, et ne pas prévoir, c’est courir à sa perte, affirmait Emile de Girardin, député, journaliste et patron de La Presse et du Petit Journal… (Personne n’est parfait !) Une chose est sûre, à courir après un avenir incertain, on ne prend pas la peine d’y croire. De la réflexion nait l’action. S’arrêter quelques minutes, écouter l’avis des autres à une époque où l’on n’a plus le droit de penser différemment, prendre le contrepied de la multitude, en fait, penser pour de bon, offre aujourd’hui des moments précieux et utiles pour ceux qui préfèrent savoir où ils vont.
D’autant plus pour les décideurs économiques, et particulièrement les patrons d’enseignes et d’immobilier de commerce confrontés, à l’heure même où les affaires sont les plus dures, à des bouleversements de normes, de concurrence et de consommation comme on en voit peu. Une des plus grandes difficultés, par exemple, est de comprendre pourquoi il faudrait forcément décroitre, écouter le sinistre dévendeur de mode de l’Adem, et «en même temps» accepter que les plateformes chinoises Shein et Temu envahissent l’Europe comme on entre dans un moulin. Pourquoi, encore, il faudrait raboter les prix au péril de son entreprise et, parallèlement, relocaliser et mieux payer ses fournisseurs.
Le propre des contemporains est d’avoir du mal à comprendre leur époque, remarquait Stephan Zweig. Certains sont encore plus mal lotis. Le métier de détaillant, comme m’a dit un jour Philippe Houzé, alors occupé à Monoprix, est si prenant qu’il laisse peu de place aux à-côtés. On reproche souvent au commerce de vivre au jour le jour et à son immobilier d’anticiper à l’excès – d’où la difficulté à s’entendre de ces deux-là. Mais l’époque est trop perturbée pour que l’on oublie les perspectives. Même si on ne s’oblige pas à une discipline d’oisiveté, comme le préconisait Malraux, il faut à minima lever la tête !
Parce que les marchands sont les mal aimés, qu’entre les industriels, les intérêts géopolitiques (cf. la fermeture de nos enseignes en Russie…) et les paysans, ils auront toujours tort. Leur chemin est semé d’embûches. Leur acharnement les sauve. Ils ont connu l’Internet et l’Internet est désormais de leur côté (cf. la contre-offensive commune contre Shein et Temu), ils ont vu arriver les écrans et ils ont su s’en passer, ils ont vécu le Covid et ils l’ont surmonté, ils voient arriver l’IA et ils commencent à l’utiliser. La technologie n’était pas leur fort. L’adaptation fait partie d’eux-mêmes. Sinon ils n’auraient pas intégré un phénomène aussi perturbant pour un esprit latin que la franchise importée des pays anglo-saxons. Elle triomphe pourtant aussi bien chez les petits réseaux que chez les grands ; et davantage.
On dit que le commerce va mal. Il est vrai que tout est plus difficile et moins prévisible. Il n’en demeure pas moins que la production de nouveaux concepts est toujours aussi florissante (170 en 2024, autant qu’en 2022) et que les difficultés ne pèsent pas sur tous. Si 43 chaines et 1 800 magasins ont pris l’eau l’an dernier, d’autres s’en sortent à merveille : Leclerc, Action, Grand Frais, Aroma Zone, Burger King ou Décathlon le montrent au quotidien. La mode elle-même, esquintée par un fashion bashing aussi idéologique qu’inopérant, brille encore de réussites qui font baver : Zara, Mango, Primark, Kiabi, Etam, Celio… et même Adidas ou Intersport, puisque le sport est à présent de cette équipe-là.
Un poncif en vogue, qui pleure sur la grandeur passée de notre civilisation, dit que les grandes voix se sont tues. Dieu merci, le commerce et son immobilier en abritent encore de nombreuses. Parce qu’elles sont au contact d’une population qu’elles côtoient tous les jours, à laquelle elles portent attention puisqu’il en va de leur propre vie, leurs paroles pèsent particulièrement lourd. La consommation n’est pas que le pouvoir d’achat. Demain, la grande bouffe ne sera peut-être plus qu’un souvenir lointain ; la sobriété aura peut-être vécu, la nécessité fera loi…
Restons calmes. Ecoutons le bon sens de nos leaders : ceux que nous convieront ici chaque semaine. C’est pour leur donner une tribune qu’avec cette application toute neuve de La Correspondance de l’Enseigne, comme aucun autre journal spécialisé n’en dispose, s’ouvre aujourd’hui cette rubrique Opinions. Tendons l’oreille, parce que les figures du commerce sont capables de dire clairement ce que tout le monde murmure, que dans ces colonnes la liberté d’expression est une seconde nature et que nous sommes tous à la recherche de la vérité. L’avenir est le plus souvent écrit sur les murs. Mais il faut de temps à autre marquer le pas pour la lire. A.B.
