G. Hittinger-Roux : 20 ans d’Ilc, des regrets sans remord

11 septembre 2025


C’est l’histoire de la promesse de l’aube. Né en 2008 mais recalculé à partir de 2005, il y a vingt ans, l’Indice des loyers de commerce (Ilc) a vieilli. Il n’a pas résisté au choc de l’inflation post-Covid et le législateur a dû intervenir pour qu’il ne détruise pas ceux qu’il était censé protéger : les petits commerçants. Vieux avant l’âge, explique Me Gilles Hittinger-Roux (HB & Associés), le voici dans le même mouvement aménagé, selon la loi des parties, par des tunnels limitant ses cabrioles que doit entériner la loi de Simplification. Stoïque et aussi impénétrable que le sont les voies du Seigneur, l’Insee immobile, comme un coffre-fort.

Considérant que la hausse des loyers est nettement supérieure à l’inflation, le Procos, représenté par son président Jean-Luc Bret et son délégué général Michel Pazoumian, et le Conseil National des Centres Commerciaux, représentés par son président Eric Ranjard, plus quelques autres… décident qu’il est impossible de poursuivre dans cette voie. Nous sommes en avril 2007 et ce constat débouche sur un accord interprofessionnel bienvenu qui est régularisé le 20 décembre. L’Indice des loyers de commerce (lc) vient de naitre… L’Insee, qui est à la manœuvre, procédera très vite, pour les baux en cours, à un calcul à rebours jusqu’à 2025. C’était il y a vingt ans. Un anniversaire en forme de perspective…

Pour les avocats spécialistes des baux commerciaux et, d’une manière générale, pour les juristes, il s’agissait néanmoins, à l’époque, d’une hérésie. Jamais un tel dispositif de pourrait être validé. La force de conviction des professionnels de l’immobilier commercial a passé outre ; il est validé par la Loi de modernisation de l’économie (LME) votée le 4 août 2008. C’est… l’abolition du privilège du monopole jusque-là incontesté de l’Indice du Coût de la Construction (Icc). La loi Pinel du 18 juin 2014 le rendra obligatoire.

En fait, le législateur a simplement suivi la pratique. En reprenant une formule d’un grand juriste du XXe siècle, George Ripert : « C’est sous la pression des nappes d’eaux souterraines que jaillit la loi ». Tout paraissait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, l’Ilc ne fonctionne pas comme on pouvait l’espérer. De façon surprenante, malgré l’arrêt de l’économie mondiale liée aux confinements de l’époque Covid, l’Indice n’a pas chuté.

Plus encore, au cours des dernières années 2022 et 2023, il a augmenté de manière brutale de plus de 12%. Aucun secteur n’a connu de telle augmentation et, vraisemblablement, ces hausses ont pu mettre en difficulté, au moins, et précipité, au pire, la disparition de nombreuses enseignes.

Il parait ici nécessaire de rappeler le rôle de l’indexation et de son indice. Il s’agit de permettre dans les contrats de longues durées de maintenir un équilibre constant entre l’évolution des données économiques et la mise à disposition du local. Le sens de l’Ilc est de conserver une neutralité parfaite des contreparties entre bailleurs et locataires, notamment en période d’inflation.

Pour permettre cette neutralité, le Code monétaire et financier (CMF) a prévu que l’indice retenu par les parties au contrat doit :

• être en relation directe avec l’activité de l’une ou l’autre des parties,

• en relation directe avec l’objet de la convention.

Les achats massifs des matières premières par les pays émergent au cours des premières années de l’an 2000 ont perturbé le fonctionnement de l’Ilc. C’est la raison pour laquelle il a été créée sous la forme d’un cocktail d’indice bien plus révélateur du marché de l’immobilier commercial. C’est un échec. Pourquoi ?

A. L’opacité de l’Insee

L’Insee est souvent considéré comme une forteresse. En effet, il est difficile de déterminer la méthodologie retenue pour fabriquer les indices. Des équipes sont constituées pour relever des données. Ce sont les « métreurs ». On ne sait qu’une seule chose : ils décomposent les prestations de l’immobilier et celles du commerce afin de les intégrer dans le calcul de l’indice. En dehors de cette connaissance, le reste est bien opaque.

Pour le calcul de l’Icc, lequel rentre dans le calcul de l’Ilc, on se souvient que plusieurs études contestaient l’attitude de l’Institut, lequel refusait d’utiliser des méthodes alternatives à celles habituellement engagées (méthode hédonique, méthode coût de production, méthode du suivi d’un même échantillon). Finalement, l’Insee a conservé ces propres usages.

Son hermétisme et son obscurantisme demeurent. Aucune contestation ne peut être engagée. On entend même dire que l’Insee serait désormais un instrument politique gouvernemental.

B. L’Ilc affaiblit par la loi

Le système de calcul mis à mal par les faits, rendu douteux par sa composition et manifestement impropre à tenir l’équilibre entre les parties, est d’ailleurs bousculé par la loi elle-même. Au moins quatre indices le montrent.

Premièrement, si l’indexation et l’Ilc avaient répondu aux ordonnances du Code monétaire et financier, le législateur n’aurait pas eu besoin d’établir un plafond à 3,5 % du 1er avril 2022 au 31 mars 2024 pour tempérer l’explosion. Peu importe, d’ailleurs, que cette mesure soit réservée aux Tpe et Pme, car il s’agit bien d’un aveu de l’Hémicycle quant à la défaillance de l’Ilc au regard de sa mission initiale. Son rôle de régulateur n’ayant pas fonctionné, il a fallu lui prêter main forte, comme on retient désespérément une voiture dont les freins ont lâché.

Deuxièmement, il a fallu tordre le bras à l’équité en appliquant le principe de deux poids, deux mesures - comme si l’inflation ou la déflation n’était pas la même, selon le chiffre d’affaires ou le nombre de salariés de telle ou telle enseigne. Avouons-le, personne n’a vraiment bien compris la pertinence de l’inégalité devant la loi, les détaillants « petits » étant parfois plus « riches », puisqu’on parlait bien de ça, que certains « gros »… malheureusement disparu depuis !

Troisièmement, on sait que, depuis de nombreuses années, les professionnels ont tendance à cantonner les indexations en se mettant d’accord sur des « tunnels ». Il s’agit d’encadrer les sautes d’humeur de l’indexation en arrêtant un pourcentage entre les parties, à la hausse, comme à la baisse… Même si, juridiquement, le mécanisme est écarté, tant par la Cour de cassation que par les juridictions du fond au visa du caractère d’ordre public des dispositions du CMF.

Enfin, comme un nouveau camouflet pour l’Insee et son indice, la loi de Simplification adoptée par l’Assemblée nationale le 8 juin 2025 (dont les circonstances politique actuelles ne permettent pas de dire quel sera son avenir), prévoit justement de valider cette sorte de serpent indiciaire, précisément issu des travaux entre professionnels du Conseil national du commerce (CNC)

De ces péripéties, on retiendra que l’indexation représente désormais pour le bailleur une sorte de… supplément de loyer. Après vingt ans d’indice, le commerce court toujours après une échelle mobile dont les barreaux tiennent bon. On attend donc avec impatience de nouveaux « sourciers », afin qu’ils proposent des dispositions équitables dans des plus brefs délais.