On ne regarde peut-être pas toujours là où on devrait. Lancé en 2018, tancé par un rapport d’étape du Sénat en juillet 2022, complété en 2023 par un plan, mort-né, de restructuration de la périphérie, le plan Action Cœur de Ville pose parfois plus de questions qu’il ne semble apporter de réponses. Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain, analyse Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos : s’il n’y a pas de miracle à en attendre, c’est qu’il faut le prendre tel qu’il est, sans tirer de plans sur la comète : un outil précieux de la sauvegarde du cœur battant de nos territoires, dont les résultats profiteront, en fin de compte, aux commerçants.
Voilà une question à laquelle il est évidemment difficile de répondre de manière définitive : Action Cœur de Ville est-il pertinent et utile ? Pas de doute, il l’est !
Ce projet a permis au plus grand nombre, en particulier les élus locaux, de comprendre que l’approche devait être globale. Car, il n’y a pas de commerce sans actions sur le logement, la qualité de l’espace public et du bâti, le retour d’habitants et des activités économiques en centre-ville. Car sans fréquentation, pas de commerce. Si l’approche avait été commerce, certaines villes retenues ne l’auraient pas été, c’est bien la preuve que d’autres enjeux étaient priorisés.
Ce programme est utile car il donne la main aux élus locaux et met à leur disposition des assistances techniques. Bien entendu, tout dépend alors de la manière dont les élus locaux le mettent en œuvre.
Utile aussi car il a permis de poser de bons diagnostics sur le commerce, souvent parent pauvre des réflexions car, pour beaucoup, le commerce s’autosuffit et n’a pas besoin d’attention ou de compétence particulière. Jusqu’à oublier qu’il possède ses propres conditions de fonctionnement. Le programme ACV a donc contraint les territoires à diagnostiquer leur commerce d’aujourd’hui et de demain, et ce faisant, à imaginer des plans d’actions et, pour les meilleures car c’est fondamental, à regarder avec lucidité le périmètre du commerce de demain et non celui d’hier. C’est capital mais politiquement compliqué.
Utile effectivement, car il a permis de prendre conscience que le commerce est impacté par les mouvements de la société, comme par les décisions et les projets des municipalités (plan de circulation, travaux …). Il réclame, outre la coordination des pouvoirs publics, des compétences spécifiques et des acteurs concentrés sur ce sujet : ACV a permis de financer des postes de managers de commerce et de territoire. C’est une bonne chose !
Par ailleurs, il a financé d’autres outils, tels que les foncières locales.
Utile enfin, car il a permis de partager les meilleures pratiques.
ACV a-t-il tout réglé ? Quelles en seraient les insuffisances ?
En premier lieu, l’objectif du programme est l’attractivité générale des cœurs de ville et pas le commerce pris isolément. Rénovation du bâti, travaux de voirie, le sujet du commerce est important mais les moyens financiers ne sont pas axés sur cette activité. Le bâti, faire revenir des habitants, c’est du temps long alors que l’exploitant du commerce vit dans le temps court.
Les problèmes du commerce, conjoncturels ou structurels, ne sont pas réglés. Par exemple, il est évident que les difficultés sectorielles de consommation, ou les problèmes d’accès ou encore de loyers ne sont pas réglés. Par exemple, un centre-ville difficile d’accès ne fonctionnera pas pour le commerce, programme ACV ou non, idem si les loyers sont trop élevés au regard des chiffres d’affaires réalisés.
Par ailleurs, le risque est de voir des élus souhaiter tout régir en matière de commerce : ouvertures, fermetures…alors que l’activité est beaucoup plus complexe. Le commerce bouge, les attentes et besoins des consommateurs également.
Autre difficulté : les managers de commerce, et comment gérer leur financement, leur pérennité, leurs missions… Cette compétence doit rester sur le temps long et s’imposer partout : c’est une courroie de transmission impérative entre le commerce et la ville et son administration. Cette fonction dédiée au commerce est aussi fondamentale qu’un responsable des services techniques ou de la voirie. La présence d’un manager ne peut pas dépendre d’un financement de l’État ou de la Banque des Territoires. Il représente un impératif de long terme, pour s’occuper du commerce le plus indépendamment possible des échéances électorales.
Pour la suite, on parle de quartier de gare, d’entrée de ville, mais dans tous les cas, les centres-villes doivent rester un objectif, car leur état santé marque profondément la perception de qualité de vie locale.
Autre sujet, le programme ACV est un contrat entre l’Etat et le territoire, et il donne la possibilité d’intégrer des acteurs privés. En fait, cela demeure une démarche et un programme très politique sur lesquels les opérateurs privés ont une visibilité et une capacité d’action très relatives. Or, le bon fonctionnement du commerce demain réclame une co-construction public/privé, une intégration des entreprises de commerce dans le projet de ville, les documents d’urbanisme, les plans d’action… Une démarche qui s’améliore, mais qui n’est pas encore la règle partout en France.
Le programme ACV est important. L’arrêter en cours de chemin serait très ennuyeux car seul le temps long peut donner des résultats. Mais, il ne répond pas à toutes les difficultés de court terme des commerçants, ne donne pas de solution sur les loyers, n’empêche pas les élus de mettre en place des politiques d’accès qui asphyxient certaines rues …
Alors, utile oui, solution à tout, non, bien entendu ! Le risque est de se poser les mauvaises questions et d’attendre d’un programme qu’il réponde à des problèmes pour lesquels il n’a pas été conçu !
